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Vivre
29 décembre 2004

Elle

Elle ressemblait à celle qui avait illuminé un de mes étés, avant d'y mettre le feu. Une femme-soleil, elle aussi, brune incandescente. Ce n'était pas une ressemblance physique, mais la même lumière.
D'elle, je n'avais vu que son visage, à une trentaine de centimètres du mien, ou peut-être plus : on ne pense pas à prendre des mesures dans ces moments là...
Je n'avais plus rien vu d'autre que ce visage, et elle avait souri, car j'avais du faire une drôle de tête face à cette lumière. Et puis, elles savent ces choses là. Elles savent très bien l'effet qu'elles nous font, et ce qu'on ressent, même quand on ne veut rien laisser voir. C'est comme si on était transparent, pour ces femmes-soleil.

Elle m'a montré ce qu'ils avaient comme étiquettes autocollantes, et finalement, sur son conseil, je me suis décidé pour le second modèle.
Pour gagner un peu de temps, j'ai demandé s'ils allaient continuer à recevoir ces cahiers souples, à feuilles blanches. J'en tenais un dans la main. Sa couverture en papier glacé était blanche, elle aussi. J'avais bien pris mon temps pour le choisir, feuilletant lentement les pages immaculées, et essayant d'imaginer mon écriture, en tenant compte du format, de l'épaisseur du papier, de la couverture...et c'est peut-être pour cela qu'elle avait souri, lorsque j'avais enfin levé les yeux, et rencontré son visage, aprés ce long moment de concentration.
Mais je suis vite parti, avant de me sentir trop mal à l'aise.
Dans mon dos j'ai entendu son "au revoir", et c'est sans me retourner que j'ai répété ces mots.

En me dirigeant vers la caisse, j'étais bien conscient qu'il venait de se passer quelque chose d'inhabituel. Je ne pouvais pas croire qu'elle illuminait ainsi tous ses clients, qu'elle donnait à chacun ces quelques minutes d'intimité et d'isolement du reste du monde.
Non, j'étais persuadé d'avoir eu droit à un régime de faveur : celui qu'on réserve à ceux de notre famille, reconnus dès le premier regard, parce qu'eux seuls savent entendre ce dialecte du coeur.

A peine sorti de la librairie, je me suis promis de revenir, dans deux ou trois jours, ou même demain, pour vérifier si je n'avais pas rêvé, si elle était vraiment telle que je l'avais vue, et si cet échange de coeur à coeur n'était pas un effet de mon imagination.
Je me disais qu'elle était peut-être celle que j'attendais, qui m'attendait, et que je n'aurais certainement pas d'autre occasion de la revoir si je ne retournais pas là-bas.
Je m'imaginais face à elle, lui disant : " je suis revenu pour voir si je n'ai pas rêvé ", et elle me répondant d'un sourire, pas surprise du tout.

J'étais donc rentré chez moi, avec mon cahier blanc, et mes étiquettes, et j'avais profité de la dernière heure de soleil pour écrire, dans cette belle lumière du soir, la fenêtre ouverte sur une journée de printemps en avance sur la date, et sur les cris d'enfants qui jouaient dans la cour.
J'écrivais ce qu'il s'était passé dans cette librairie, ce que j'avais ressenti. Et c'est à ce moment-là que j'ai commencé à douter, à me demander si c'était bien la peine d'y retourner, à accuser ma trop grande imagination. On aurait dit que j'avais peur de m'être trompé, et de comprendre trop tard , face à elle, que je n'existais pas pour cette femme- soleil.

Alors, j'ai refermé le cahier blanc, et je l'ai feuilleté rapidement. Avant qu'il ne soit rempli, de l'eau aurait coulé sous les ponts, comme on dit...

 

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Commentaires
J
tres beau texte , tu as peint un tableau émouvant<br /> j'ai hate d'en lire la suite......<br /> jmarc
A
Vous êtes transparents pour elles, effectivement.
S
Tu te lances dans l'écriture d'une nouvelle! c'est beau; j'attends la suite avec impatience! à bientôt! Shakti
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